Au Vietnam, l’expérimentation sociale permet de trouver des solutions
Da Nang, l’une des plus grandes villes du Vietnam, est souvent représentée comme la ville la plus agréable à vivre du pays en raison de ses plages immaculées et des vues environnantes.
Mais depuis quelques années, Da Nang souffre de graves problèmes environnementaux qui freinent son développement et son image de destination de rêve pour touristes.
Avec 1 100 tonnes de déchets solides produits par jour, la seule décharge de la ville est constamment surchargée et sur le point de fermer — une véritable catastrophe !
Notre équipe #AcceleratorLab au PNUD au Vietnam s’est donc penchée sur la question, en revoyant la perception des citoyens et des autorités de Da Nang vis-à-vis du triage de leurs déchets sous un nouvel œil.
L’expérience « en vrai » du tri sélectif
Les expérimentations sociales et les changements systémiques sont de belles idées sur le papier mais leur mise en application est toute autre chose.
Au départ, notre partenaire à Da Nang, le Ministère des Ressources naturelles et de l’Environnement, souhaitait que nous nous consacrions à leur plan de tri des déchets, en accordant des fonds pour acheter les équipements de recyclage. Nous avons proposé de mener une petite expérience pendant un mois pour les aider à définir un bon modèle de tri sélectif.
Mais les responsables avec lesquels nous avons échangé ne voyaient pas l’intérêt d’une expérience si courte pour un problème si flagrant : « Il est évident que les gens ne trient pas leurs déchets car ils n’ont pas de bacs de recyclage… donnons-leur ces bacs et le problème sera résolu »
Cette réticence initiale nous a encouragé à persévérer et nous avons fini par nous mettre d’accord pour tester les hypothèses ci-dessous :
- Hypothèse 1 : « Si nous donnons des bacs de recyclage aux citoyens, alors ils commenceront à trier leurs déchets. »
- Hypothèse 2 : « S’ils ne pratiquent toujours pas le tri, dites-leur de le faire » (donnez-leur des affiches & des dépliants qui les invitent à trier leurs déchets car c’est ce que font de « bons » citoyens).
Tester l’évidence
Même si nous savions que le tri sélectif ne suffirait pas à régler le problème de déchets de la ville, nous devions démontrer aux autorités que cette expérience était « légitime » et qu’elle pouvait donner une nouvelle crédibilité à la lutte contre la pollution plastique, tout en gardant une vision systémique à l’esprit.
Les autorités locales nous ont alors mené à des immeubles d’un quartier pauvre où, effectivement, les poubelles existantes débordaient. Nous avons donc effectué notre première expérience en deux phases, chacune d’une durée de 10 jours pour tester respectivement les hypothèses mentionnées ci-dessus. Nous avons installé des bacs de recyclage, collé des affiches, et désigné une personne chargée d’observer les poubelles, de peser les déchets collectés et de noter l’utilisation des bacs par les citoyens, de 6 heures du matin à 21 heures.
Devinez quoi ? Personne n’utilisait les bacs ! Les habitants les ignoraient complètement, les utilisaient pour y jeter des déchets ordinaires, ou même, s’en plaignaient. Nous avons aussi observé que la quantité de mauvais déchets (ordinaires) jetés dans les bacs de recyclage ne cessait d’augmenter.
Avec les hypothèses initiales des autorités ainsi réfutées, nous pouvions désormais passer à la phase suivante et voir comment changer les comportements.
Tester les inconnues
Grâce à cette première phase de référence, nous en avons appris davantage sur les « inconnues » (les choses que nous ignorons). En observant le rapport des habitants au recyclage, nous avons découvert qu’ils avaient tendance à ne pas jeter le bon type de déchets dans les bacs actuels, opaques et munis d’un couvercle. De plus, une fois qu’une personne avait adopté le mauvais comportement, les autres lui emboîtaient généralement le pas. Les bacs se salissaient, ce qui décourageait les gens d’y jeter des déchets recyclables.
En effectuant un recensement des solutions locales, nous avons découvert un nouveau système de bacs transparents, faciles à nettoyer et plus agréables à l’œil créé par une association de femmes.
Cette fois-ci, nos hypothèses pour observer le comportement des citoyens par rapport au recyclage étaient que : (1) si les nouveaux modèles de bacs ont des ouvertures suffisamment petites pour ne laisser passer que des objets recyclables et non des sacs poubelles classiques, alors il y aurait moins de mauvais déchets dans les bacs de recyclage ; et (2) si les nouveaux bacs permettent de voir les déchets, alors les personnes sont moins susceptibles de jeter les mauvais déchets dans les bacs de recyclage.
Après 10 jours de test, les résultats de cette phase 3 ont dépassé nos attentes. Le nombre de personnes utilisant les bacs était 5 fois plus important qu’au départ et la quantité de mauvais déchets collectée est quasiment passée à 0. Plus de 90% des personnes interrogées pendant cette expérience ont accepté de recommander ce système à l’échelle de la ville.
Les personnes qui récupéraient les déchets de manière informelle ne le font plus et les achètent désormais auprès des résidents. Mais surtout, au vu d’une solution viable et durable, le gouvernement peut maintenant investir judicieusement dans les infrastructures de tri sélectif.
Notre expérimentation et nos recherches ont aidé à cerner le comportement humain, à mettre de côté des solutions suboptimales, et à identifier un prototype testé sur le terrain et l’adapter afin qu’il devienne une option évolutive.
Au départ, nous craignions que l’expérience ne soit pas d’envergure suffisante et ne génère pas les changements escomptés, mais l’intérêt manifesté par le gouvernement nous a encouragés à poursuivre notre travail. Nous avons pris conscience que le capital social acquis grâce aux solutions testées de manière expérimentale nous permettra à l’avenir de déployer notre approche systémique de manière plus harmonieuse.
Par Nguyen Tuan Luong Responsable de la cartographie des solutions pour l’Accelerator Lab du PNUD au Vietnam