Femmes d’action : des leaders en temps de crise
Par Ioana Creitaru, Conseillère pour le Bureau des crises et le dispositif SURGE du PNUD en République de Moldova
Un grand coup sur la porte la fit sauter du lit. Son mari lui demanda de ne pas bouger pendant qu’il sortait pour vérifier. Deux soldats firent irruption et l’arrêtèrent. Alors qu’on le traînait dehors en pleine nuit, elle se retint de crier et se précipita pour réveiller ses enfants. Elle mit quelques vêtements, des bijoux et une couverture dans une lourde malle en bois, murmura une prière et s’enfuit avec ses deux enfants. Ce fut la dernière fois qu’elle vit son mari et les derniers pas qu’elle fit dans sa patrie.
C’est l’histoire de mon arrière-grand-mère qui a fui le Moldova pour la Roumanie en 1941.
Son histoire et le fait qu’elle ait agi de manière décisive en temps de crise m’ont incitée à poursuivre une carrière dans le développement. Cette année, lorsque le PNUD a lancé un appel aux conseillers SURGE pour coordonner l’aide aux réfugiés en Ukraine, j’ai su que je devais y aller. Mon affectation en Moldova était non seulement un appel du devoir, mais aussi une occasion d’honorer la mémoire de mon arrière-grand-mère. Laisser ma fille de quatre ans n’a pas été facile, mais le soutien inconditionnel de ma famille et les dispositions flexibles prises avec le Bureau de crise du PNUD m’ont permis d’accepter cette mission.
Travailler avec des femmes réfugiées en République de Moldova
La guerre en Ukraine a déclenché la plus grande crise migratoire qui sévit actuellement dans le monde. Environ 8 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur de l’Ukraine, tandis qu’approximativement 13 millions d’autres sont bloquées dans les zones touchées par le conflit. Plus de 6,5 millions de personnes ont fui le pays en tant que réfugiés. Près d’un demi-million d’entre elles s’est réfugié en République de Moldova, dont plus de 64 % sont des femmes et des filles. Et parmi ces réfugiés, quelque 86 000 ont décidé d’y rester ! À titre de comparaison, la population totale de Moldova est de 2,59 millions d’habitants.
À mon arrivée en République de Moldova, j’ai rencontré des femmes réfugiées accueillies dans l’un des 90 centres d’hébergement pour réfugiés ouverts par le gouvernement, les autorités locales et les ONG. Pendant que de jeunes bénévoles chantaient des chansons pour distraire les enfants réfugiés, leurs mères faisaient part de leur inquiétude au sujet de leur mari au front, de la famille et des foyers laissés derrière, ainsi que de l’avenir incertain.
« Lorsque nous avons quitté Odessa, nous ne savions pas où nous allions arriver… Nous ne savions même pas si nous allions survivre au voyage », nous a avoué Natalia, tenant dans les bras son bébé de cinq mois. Avec 23 autres femmes réfugiées et 13 enfants, Natalia a trouvé refuge au Centre régional de réhabilitation des victimes de violence domestique de Găgăuzia, créé il y a deux ans pour aider les femmes et les enfants victimes de violence. Soutenu par le PNUD, ce centre a mis à disposition un espace pour accueillir les mères qui ont dû fuir l’Ukraine avec de jeunes enfants.
Depuis 2019, le PNUD et le Gouvernement suisse soutiennent les propriétaires de maisons d’hôtes pour renforcer l’entreprenariat local et promouvoir le tourisme rural. Dans le contexte de la guerre, ce programme couvre également une partie des coûts d’hébergement des réfugiés d’Ukraine par le biais d’associations moldoves. Plus de 150 réfugiés ont également reçu une assistance juridique et un soutien psychosocial dans le cadre d’un programme d’accès à la justice mis en œuvre en collaboration avec le PNUD.
À ce jour, le PNUD Moldova et ses partenaires (l’Union européenne, la Suisse, la Suède et le Royaume-Uni) ont alloué 1,27 million de dollars pour répondre en partie aux besoins immédiats des réfugiés et des communautés d’accueil, ainsi que pour soutenir l’intégration socio-économique des personnes fuyant la guerre en facilitant leur accès à l’emploi et aux services publics, ce qui favorise la cohésion sociale.
« Je voulais rester à Odessa, mais mon mari a insisté pour que j’aille en Moldova. Je suis donc venue à Bălți avec notre fils de 11 ans », raconte Tatiana, une réfugiée ukrainienne. Elle a postulé à l’Agence nationale pour l’emploi et a obtenu un emploi dans une usine d’huile de tournesol. Le PNUD et la Suisse soutiennent cette agence qui, entre autres, informe, conseille et oriente les demandeurs d’emploi.
Des femmes qui inspirent
Le gouvernement de Moldova fait preuve de dynamisme en répondant aux besoins des réfugiés fuyant l’Ukraine. Ses efforts sont complétés par l’implication de partenaires coordonnés par le biais d’un forum spécialement créé à cet effet par le HCR. Le PNUD Moldova co-préside, avec le Gouvernement, le groupe sectoriel inter-institutions sur l’inclusion et les moyens de subsistance. Je me suis sentie honorée d’exercer cette fonction au nom du PNUD dans le cadre de ma mission SURGE.
L’inclusion socio-économique, en particulier des femmes qui constituent la majeure partie des réfugiés, est un facteur clé pour sortir le Moldova de la crise qu’il traverse actuellement. Or pour surmonter efficacement le défi de l’inclusion, il faudra instaurer, à l’échelle de la société, un dialogue sur les solutions à apporter en matière d’emploi, de compétences et de reconversion, ainsi que sur le renforcement des systèmes d’aide à l’enfance.
En République de Moldova, j’ai également eu l’occasion de former une collègue du PNUD en Azerbaïdjan, Nargiz Guliyeva. Elle a été détachée en Moldova dans le cadre de l’initiative SURGE Experience, qui vise à former les professionnels du PNUD aux situations de crise. Nargiz a apporté son soutien au PNUD Moldova en matière d’évaluation des compétences, d’engagement du secteur privé et d’autres domaines liés à l’inclusion socio-économique et aux moyens de subsistance des réfugiés.
« Cette première mission SURGE m’a permis de travailler sous pression dans un environnement multiculturel et de me redécouvrir en tant que professionnelle capable de répondre à la complexité de la crise », a déclaré Nargiz.
Lorsque je réfléchis à cette mission, je me dis que ce fut un privilège de travailler pour aider des femmes comme mon arrière-grand-mère et les réfugiées que j’ai rencontrés en Moldova. Bien qu’elles aient été confrontées à des difficultés inimaginables en raison du conflit, elles ont trouvé des ressources intérieures et extérieures pour non seulement survivre, mais aussi s’épanouir et servir d’exemple aux générations futures.