La communauté autochtone du Suriname « garde espoir et continue de croire », malgré les ravages de la COVID-19

ONU Développement
5 min readSep 15, 2021
Les groupes autochtones reconnus au Suriname, dont l’ethnie des Lokono, ne représentent que 4 % de la population du pays, qui compte 586 000 habitants.

Le capitaine Theodorus Jubitana est né le 10 avril 1965 dans le petit village de Tapoeripa dans le district de Nickerie au Suriname. Neuvième d’une fratrie de 11 enfants d’une famille Lokono, il a grandi dans un foyer modeste. Il s’est engagé dans la politique locale, a été un militant infatigable des populations autochtones du Suriname et est finalement devenu président de l’association des chefs de villages autochtones et chef de l’Amazon Party Suriname. Il était marié et père de six enfants, et un pilier très apprécié de sa communauté.

En juillet, le capitaine Theo est décédé de COVID-19, devenant l’une des plus de 650 victimes décédées des suites de COVID-19 au Suriname.

Les groupes autochtones reconnus au Suriname, dont l’ethnie des Lokono, ne représentent que 4 % de la population du pays, qui compte 586 000 habitants. Toutefois, jusqu’à présent, malgré les efforts déployés pour les protéger de la pandémie, ils ont représenté plus de 15 % des décès dus à la COVID-19.

Bien qu’il existe peu de données socioéconomiques sur les communautés autochtones du Suriname, comme dans de nombreux autres pays, ces populations sont plus susceptibles de faire face à la privation et à la pauvreté, une inégalité douloureusement mise à nu par la COVID-19.

Au début de la pandémie, le capitaine avait exprimé son inquiétude quant au fait qu’on n’en faisait pas assez pour protéger les communautés autochtones. « Les villages étaient dans la tourmente, les entrées barricadées et les personnes autorisées de manière sélective à entrer et à sortir », avait-il déploré. « On gagnerait à enquêter pour savoir comment les gens vivent la situation dans les villages ».

Les communautés locales se réunissent souvent dans le cadre d’événements ou de célébrations et pour discuter de questions importantes, comme on peut le voir dans le village de Matta, au Suriname. Photo : VIDS

Le capitaine Theo a aidé le PNUD à organiser une évaluation rapide de l’impact socioéconomique de la COVID-19, la première du genre réalisée auprès des peuples autochtones du Suriname. L’évaluation va dans une certaine mesure répondre au manque criant de données sur les communautés autochtones et était unique en ce qu’elle utilisait des systèmes numériques pour recueillir des informations.

L’étude a révélé que la pandémie a augmenté les taux de chômage, la pauvreté et l’exclusion. Quarante-trois pour cent des ménages autochtones ont perdu des revenus depuis le début de la pandémie, et les prix des denrées alimentaires, des produits d’hygiène et des transports ont augmenté.

En plus d’aggraver la pauvreté qui mine ces communautés, concrètement, le ralentissement économique augmente les risques d’infection, 43 % des autochtones déclarant également avoir eu du mal à se procurer des articles d’hygiène tels que les désinfectants et les masques. Les migrations non contrôlées encouragées par l’exploitation minière illégale se sont par ailleurs accompagnées d’un risque possible de propagation du virus.

Certes les pouvoirs publics travaillent d’arrache-pied pour réduire les inégalités au Suriname, mais l’exclusion enracinée contribue également à propager la maladie. Près de la moitié des chefs de famille autochtones ne parle pas le néerlandais, la langue officielle du pays, ce qui pose des défis aux efforts de sensibilisation à la protection contre la COVID-19. Cette situation est également exacerbée par une faible culture numérique et un accès limité aux appareils numériques tels que les smart phones et les ordinateurs. Le manque d’internet et d’électricité touche également de manière disproportionnée les enfants autochtones, qui ont dû se rabattre sur l’apprentissage à distance pendant la pandémie. De nombreux foyers de familles autochtones ne reçoivent ni télévision ni radio.

Des enfants chantent l’hymne national en langue arawak, dans le village de Matta, au Suriname. Photo : VIDS VIDS

« Nous avons le sentiment que ce sont les communautés autochtones en particulier qui sont « oubliées », et pire, stigmatisées, sans aucune protection des autorités publiques, qui ne diffusent même pas des informations dans les villages », a regretté un responsable autochtone.

Une évaluation du PNUD indique que 55 % des ménages autochtones déclarent que leur principal besoin est désormais la santé, et 25 % disent que c’est la sécurité alimentaire. La plupart des ménages ont déclaré qu’ils souhaiteraient recevoir une aide alimentaire.

Les données que nous avons collectées ont révélé la nécessité urgente d’accompagner les autorités publiques dans les efforts qu’elles déploient pour améliorer la sécurité alimentaire, l’accès aux soins de santé (y compris les équipements de protection individuelle), l’assurance maladie, l’assainissement, l’éducation et les opportunités d’emploi pour les communautés autochtones aux prises avec la COVID-19. Une stratégie à long terme s’impose qui s’attaquerait à l’exclusion et garantirait la prise en compte des peuples autochtones dans l’élaboration des politiques publiques en permettant à leurs représentants d’avoir leur mot à dire sur la conception de la riposte à la COVID-19 et sur d’autres mesures publiques. Les langues autochtones doivent être prises en compte dans ce processus et des agences spécialisées créées pour faciliter le développement des communautés autochtones.

Ce sont là quelques-uns des enseignements qui nous viennent du Suriname et qui peuvent être utiles à d’autres pays dont les populations autochtones sont en proie à la pandémie.

Nous devons nous rappeler que dans la quasi-totalité des pays, les peuples autochtones sont confrontés à des taux de pauvreté plus élevés et à de graves désavantages socioéconomiques. Plus de 70 % de la population mondiale vit dans un pays où les inégalités de revenus et de richesses augmentent, et celles-ci sont exacerbées par la COVID-19, qui ne se limite pas à affecter la santé humaine, mais creuse également les inégalités structurelles, augmente la pauvreté et pose même des défis plus importants dans la poursuite des objectifs de développement durable. De fortes inégalités sont le plus préjudiciables aux plus démunis. Et dans de nombreux pays, cette catégorie inclut les communautés autochtones.

Le combat du capitaine Theo contre ces inégalités reste un aspect central de son héritage.

Avec son décès, nous avons perdu non seulement un champion des droits des peuples autochtones, mais aussi un bon camarade qui était ouvert à des idées et à approches nouvelles et novatrices. Je l’ai connu comme quelqu’un de toujours disposé à discuter non seulement des questions socioéconomiques, mais aussi de celles liées à l’utilisation durable de l’environnement et à la politique locale. Mais ce que je trouve très frappant, c’est qu’il pouvait facilement passer de la vision autochtone traditionnelle du monde à la vision moderne, et qu’il avait toujours un avis bien précis sur les questions régionales et mondiales.

Par : Ruben Martoredjo, associé de programme, PNUD Suriname, et Anila Qehaja, responsable de la gestion de l’information, SURGE Data Hub, Bureau de crise du PNUD

Lire l’évaluation intégrale (en anglais)

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