Marchés autochtones : et si l’alternatif devenait la norme ?

ONU Développement
7 min readOct 7, 2021

Par Aeden Keffelew

Des femmes autochtones du sud de l’Inde retirent la cire des structures en nid d’abeille. Photo : Aadhimalai Pazhangudiyinar Producer Company Limited

« Il y a beaucoup de sagesse, beaucoup de façons de posséder peu mais de voir les choses en grand », dit Pratim Roy. « Nous, on nous dit : “Ceci est votre terre, ceci est votre appartement, ceci est votre voiture”. Mais pour eux, toute cette zone leur appartient. Comment peuvent-ils posséder ce genre de choses ? Ils ont beaucoup à nous apprendre. Ce que nous appelons “alternatif”, c’est leur vie de tous les jours ».

Roy est le fondateur de la Fondation Keystone, et « eux », sont les membres de l’Aadhimalai Pazhangudiyinar Producer Company Limited, un collectif de producteurs autochtones situé dans la réserve de biosphère de Nilgiri (NBR), dans les Ghâts occidentaux du sud de l’Inde. Alors que les problèmes de production alimentaire dus au climat deviennent une préoccupation croissante dans le monde entier, ce collectif de producteurs issus de groupes autochtones a prouvé que la gestion locale des écosystèmes productifs peut offrir des solutions durables et rentables.

Aadhimalai Pazhangudiyinar Producer Company Limited a été incubée par la Fondation Keystone en 2013. Keystone travaille avec 147 communautés autochtones dans la réserve de biosphère de Nilgiri, qui s’étend sur 5 500 kilomètres carrés, afin de trouver des solutions environnementales et économiques fondées sur les pratiques autochtones traditionnelles.

Des agriculteurs travaillent dans les champs appartenant à Aadhimalai, dans la réserve de Niligri. Photo : Aadhimalai Pazhangudiyinar Producer Company Limited

Aadhimalai, qui a débuté en tant que micro-entreprise sociale et s’est depuis transformée en une société de production tribale qui utilise la production biologique et les récoltes durables de cultures locales, a reçu — avec neuf autres peuples autochtones et communautés locales — le Prix Équateur 2021 du Programme des Nations Unies pour le développement. Le Prix Équateur récompense des solutions efficaces et évolutives, fondées sur la nature, face aux dilemmes environnementaux, alimentaires et économiques les plus pressants de notre monde.

En tant que collectif de production appartenant à des autochtones, Aadhimalai utilise des méthodes traditionnelles de collecte de produits forestiers non ligneux (PFNL), tels que le miel, l’amla, le shikakai, les noix de savon et les baies dans les forêts protégées. Ceci permet de soutenir les moyens de subsistance et la production alimentaire des communautés dans la réserve et dans ses alentours, tout en protégeant la forêt et les espèces autochtones.

Vanaja est productrice et copropriétaire du centre Bangalapadi Aadhimalai. Photo : Shrishti Institute of Art and Design

« Aadhimalai est une entreprise pour les populations tribales d’ici », explique Vanaja, productrice au centre Bangalapadi Aadhimalai. « Nous sommes tous copropriétaires. Aadhimalai est à nous ».

L’Aadhimalai Producer Company sert de société de production décentralisée pour ces produits dans différentes parties de la réserve. Elle garantit à ses membres un prix de marché équitable pour leurs produits. L’entreprise lutte contre les pratiques déloyales autrefois répandues, telles que les prix bas du marché, le pesage incorrect des produits et les monopoles des détaillants commerciaux en dehors de la zone de la réserve.

Ces problèmes de marché, qui ont eu un impact négatif sur la sécurité alimentaire et économique des populations autochtones, ont été précédemment exacerbés en raison de l’absence de zones de protection claires dans la réserve de biosphère de Nilgiri.

Des producteurs épépinent le fruit de l’amla (à gauche), tandis qu’un autre conditionne le miel raffiné dans des pots (à droite). Photos : Aadhimalai Pazhangudiyinar Producer Company Limited

La réserve de biosphère de Nilgiri, où vivent depuis toujours les peuples autochtones du collectif Aadhimalai, a été créée en 1986 par le gouvernement indien et le Programme sur l’Homme et la biosphère de l’UNESCO. La réserve est un havre de biodiversité avec des forêts tropicales, des zones humides et d’autres écosystèmes, abritant diverses espèces de faune, comme l’éléphant d’Asie, et le tigre du Bengale.

Dans le cadre du programme de l’UNESCO, chaque réserve est divisée en trois zones : des zones centrales pour des biosphères strictement protégées, des zones tampons dédiées à une surveillance, une recherche et une formation respectueuses de l’environnement, et des zones de transition où les communautés peuvent mener des activités économiques durables.

La biosphère de Nilgiri ne dispose pas de zones de transition délimitées permettant aux groupes autochtones de développer des systèmes de croissance économique également écologiques. En conséquence, les zones tampons ont été utilisées par divers promoteurs pour des projets hydroélectriques, des activités agricoles, horticoles et touristiques. Cela a eu un impact négatif sur l’écologie de la réserve.

Aadhimalai a traité ce problème en utilisant les zones de manipulation à l’intérieur des zones tampons pour créer des moyens de subsistance durables au profit de plus de 1 600 membres autochtones du collectif grâce à la production et à la vente de PFNL récoltés dans la forêt.

Des agriculteurs récoltent du millet dans l’une des zones de manipulation. Photo : Aadhimalai Pazhangudiyinar Producer Company Limited

Aadhimalai vend du café, du poivre, du coton de soie, du millet, des légumineuses, des céréales, des épices et des fruits aux familles autochtones et aux communautés voisines, assurant ainsi des moyens de subsistance durables à ses membres. L’entreprise leur paie des prix qui sont 30 % plus élevés que le taux du marché.

Une équipe de locaux formés en tant qu’« écologistes aux pieds nus » enregistre et surveille régulièrement les récoltes et les pratiques agricoles. Les écologistes maintiennent une récolte durable de ces cultures grâce à un modèle économique holistique. Ils veillent également à ce que la collecte du miel ne dépasse jamais 40 % de la ressource, afin de maintenir la stabilité des colonies d’abeilles. Enfin, ils replantent la forêt en faisant appel à des pépinières locales pour faire pousser des espèces et des arbres autochtones.

Divers centres de production répartis dans le collectif produisent des biens à partir de produits forestiers non ligneux (PFNL) qui sont ensuite vendus aux groupes autochtones de la région. Beaucoup de ces centres de production sont dirigés par des femmes.

« Seules les femmes travaillent dans nos centres de production », explique Sumithra. « Cependant, les hommes et les femmes font la collecte des PFNL ».

Sumithra (à gauche) travaille dans l’un des centres de production, en compagnie de plusieurs autres femmes (à droite) qui composent une organisation presque entièrement féminine. Photos : Shrishti Institute of Art and Design et Aadhimalai Pazhangudiyinar Producer Company Limited

Sur les 50 employés d’Aadhimalai, 42 sont des femmes, et sur les 7 directeurs de l’entreprise, 3 sont des femmes. Les femmes gèrent les unités de production, se rendent dans d’autres organisations pour faire de la formation, et représentent leur communauté dans le cadre de forums locaux et nationaux.

La fixation du prix des produits aide les communautés autochtones de la région à conserver leur indépendance économique et agricole. Leurs pratiques traditionnelles aident également les communautés tribales à faire face à la volatilité du changement climatique pour les industries agricoles.

Aadhimalai a créé une agroéconomie durable pour de nombreux groupes autochtones dans la réserve de Nilgiri. Ses membres ont formé plus de 25 organisations dans les zones tribales de l’Inde à l’agriculture biologique, à la récolte durable du miel, à la collecte de fruits sauvages et à la manipulation hygiénique des produits.

Une agricultrice travaille dans les champs de la réserve de Niligri. Photo : Aadhimalai Pazhangudiyinar Producer Company Limited

« Notre organisation se veut elle-même une communauté », déclare Jestin Pauls, PDG d’Aadhimalai. « Entreprendre est une nécessité ». Il pense que le soutien du gouvernement peut contribuer à mettre à l’échelle leur modèle efficace d’entrepreneuriat autochtone.

À l’heure où les nations et les communautés cherchent des moyens de réhabiliter et d’utiliser durablement les terres, Aadhimalai propose une solution économiquement et écologiquement viable. Ces pratiques aident les communautés en situation d’insécurité alimentaire alors que le changement climatique commence à créer des schémas météorologiques extrêmes et imprévisibles.

Aadhimalai propose un modèle économique durable qui soutient les communautés locales tout en intégrant et en préservant les connaissances autochtones. Les formations dispensées par des autochtones renforcent l’autonomie des enseignants et des apprenants, et démontrent la valeur des actions menées localement en les reproduisant dans différents endroits.

Grâce à ce travail, Aadhimalai et d’autres groupes à travers le monde s’efforcent d’intégrer cette approche « alternative » dans les pratiques courantes. Les lauréats du Prix Équateur 2021, tels que la Tropical Forest — Rural Development au Cameroun et la BIO-KG Federation of Organic Development au Kirghizstan ont également développé des modèles d’agriculture durable et traditionnelle, dont certains ont été utilisés pour élaborer les politiques alimentaires des gouvernements locaux.

Les membres du collectif d’Aadhimalai affirment que « l’obtention de droits sur les ressources est notre plus grand objectif ». La souveraineté foncière leur offre des droits continus pour protéger et préserver la forêt pour les générations à venir.

« Remporter le Prix Équateur contribuera considérablement à promouvoir la cause des entreprises sociales respectueuses de l’environnement », ont déclaré les représentants d’Aadhimalai dans leur discours d’acceptation. « Ce prix nous motive et donne une voix à ceux qui n’en ont pas ».

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