« Nous sommes une population oubliée »

Au Panama, les médias sociaux aident les populations marginalisées à accéder aux services de lutte contre le VIH pendant la pandémie

ONU Développement
9 min readOct 23, 2020
Fulvia Saldaña, animatrice sociale de l’organisation Viviendo Positivamente, s’entretient avec une de ses patientes avec laquelle elle reste en contact via les médias sociaux.

Suite à la flambée de cas de COVID-19, le Panama a imposé des restrictions strictes pour endiguer la maladie. Les citoyens étaient autorisés à quitter leur domicile jusqu’à six heures au maximum par semaine, hommes et femmes alternativement un jour sur deux. Si ces mesures ont permis d’assouplir progressivement les restrictions, l’impact du confinement sur les populations marginalisées, en particulier celles qui sont les plus exposées au risque d’infection par le VIH, suscite une inquiétude croissante.

Isolés chez eux pendant six mois, les travailleurs et travailleuses du sexe, les hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes et les personnes transgenres sont confrontés à une réalité effrayante. Avec de nombreux établissements de santé fermés ou réaffectés à la lutte contre la COVID-19, la population peine à accéder aux services de prise en charge du VIH, des services pourtant vitaux.

Les personnes transgenres risquent davantage d’être victimes de discrimination lorsqu’elles quittent leur domicile certains jours, et les travailleurs et travailleuses du sexe se retrouvent face à un dilemme : sombrer encore plus dans la pauvreté ou continuer à travailler avec des risques accrus pour eux-mêmes et leurs clients.

Une adaptation rapide

« Avant, nous nous rendions dans les lieux publics — des parcs, des arrêts de bus, des discothèques — où les jeunes hommes se rassemblaient. On allait à leur rencontre, on discutait et on leur distribuait des préservatifs. Avec la pandémie, nous avons dû changer notre façon de faire », explique Fredy, un animateur de rue de l’Asociación de Hombres y Mujeres Nuevos de Panamá (AHMNP), l’Association des nouveaux hommes et femmes du Panama.

Fredy, un animateur social de l’Asociación de Hombres y Mujeres Nuevos de Panamá (AHMNP), communique avec ses patients via les médias sociaux.

L’AHMNP fournit une médecine préventive et des informations aux lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) au Panama, en mettant l’accent sur le respect et la défense des droits humains. Les associations locales, étant bien placées pour écouter les populations marginalisées et les aider à accéder aux soins de santé, ont décidé d’opter pour une approche numérique, en recourant à des plateformes de médias sociaux et diverses applications.

« Beaucoup d’entre eux ont accepté de nous écouter, mais d’autres nous ont simplement dit qu’ils n’étaient pas intéressés. Nous leur avons expliqué que s’ils avaient un jour besoin d’informations, ils pouvaient nous trouver sur les réseaux et que nous serions là pour discuter. »

Fredy, qui travaille de chez lui, contacte environ 60 personnes par mois en ligne. L’intérêt des réseaux sociaux, qui comptent 2,4 millions d’utilisateurs au Panama, soit juste un peu plus de la moitié de la population, réside dans le fait que les travailleurs sociaux du milieu associatif peuvent interagir avec leur public cible en toute sécurité, depuis leur domicile.

Une fois le contact établi, les personnes sont dirigées vers des lieux sûrs où des services de lutte contre le VIH sont disponibles ; il est vital de veiller à ce que ces interactions en ligne encouragent davantage de personnes à se faire dépister, à connaître leur statut par rapport au VIH et à se protéger lors de leurs rapports sexuels.

L’accord conclu avec le Ministère de la santé au cours des premières semaines de confinement a été crucial à cet égard, car il a permis d’offrir des services de lutte contre le VIH dans les bureaux des organisations locales de la société civile. Il était fondamental de créer des espaces d’accueil sûrs, étant donné qu’on estime que trois personnes sur dix vivant avec le VIH en Amérique latine se sont abstenues d’utiliser les services pendant la pandémie de COVID-19 par peur de discrimination.

L’AHMNP a effectué un total de 4 889 tests de dépistage du VIH entre le 14 mai et le 10 septembre 2020, dont 78 se sont révélés positifs. Parmi les personnes positives, 95 % ont commencé un traitement antirétroviral.

Anthony vit à Panama et a rencontré Fredy sur une application mobile bien connue : « J’ai discuté avec Fredy et il m’a expliqué la différence entre le VIH, le SIDA et d’autres infections sexuellement transmissibles que je ne connaissais pas. Nous avons également parlé de la possibilité de faire un test VIH. »

« Il m’a dit que je pouvais lui poser n’importe quelle question et il m’a garanti que nos échanges resteraient confidentiels. Il m’a également dit que le Ministère de la santé approuvait leur travail », exlique Anthony.

La confidentialité a toute son importance lorsque l’on utilise les réseaux sociaux, et les travailleurs sociaux du monde associatif veillent à se présenter clairement au début de toute interaction et à expliquer leur rôle. L’engagement des associations à respecter la vie privée et la confidentialité est également conforme au droit national.

Fulvia Saldaña, animatrice sociale, à gauche, s’entretient avec deux de ses patientes.

Des cliniques d’accueil

« J’ai commencé avec 30 contacts, puis ça a fait boule de neige. Nous fournissons des informations sur l’utilisation des préservatifs, les dépistages du VIH et d’autres maladies. »

Pour Fulvia Saldaña, animatrice de rue au sein de l’organisation Viviendo Positivamente, établir des contacts avec des travailleurs et travailleuses du sexe impliquait généralement de les rencontrer sur leur lieu de travail. Le confinement imposé par la pandémie de COVID-19 a tout changé. L’organisation a alors décidé de recourir à une application populaire, après avoir découvert que les travailleurs et travailleuses du sexe utilisaient ce mode de communication pour contacter leurs clients et promouvoir leurs services.

« Je travaillais dans un bar, et c’est là que j’ai rencontré pour la première fois des membres de Viviendo Positivamente. Avant, je n’avais aucun contrôle sur ma santé. Maintenant, je fais régulièrement des bilans de santé. Depuis que le bar a fermé, je gère mes clients à l’aide d’une application bien connue. Les clients se font plus rares, mais nous continuons à travailler », explique Cindy, une travailleuse du sexe.

Une patiente attend d’être reçue au Viviendo Positivamente.

Un aspect important du travail de Fulvia consiste à recommander des cliniques d’accueil, où les travailleurs et travailleuses du sexe peuvent accéder à des services gratuits, dont une prise en charge psychologique et des examens médicaux.

Edith est patiente dans l’une de ces cliniques, située dans la province du Panama Ouest, à 20 minutes de la capitale : « Viviendo Positivamente m’a appris à prendre soin de moi. Vous pensez savoir comment faire, mais ils expliquent les choses plus en détail. Les cliniques m’ont fourni des préservatifs et du lubrifiant. Le fait que tout soit gratuit m’a fait hésiter au début, mais quand ils m’ont contacté par vidéo, j’ai pu voir que tout était en ordre . Les services qu’ils proposent me permettent d’économiser de l’argent et les soins sont de très bonne qualité. »

Bien qu’elle ne travaille pas actuellement, car elle a deux jeunes enfants à la maison, Edith reste en contact avec Fulvia, l’animatrice qui l’a contactée.

Des patientes se présentent à Viviendo Positivamente.

Une population oubliée

« Le problème était de savoir comment se rendre au bureau, comment nous serions perçus par la population une fois dehors. Ce n’est pas facile ; nous sommes une population oubliée. »

Alors que les services de santé publique se consacrent entièrement à la lutte contre la COVID-19, le Ministère de la santé a permis à Viviendo Positivamente d’effectuer des tests de dépistage du VIH et de proposer des soins de santé dans ses locaux. Venus estime qu’approximativement 2 000 personnes transgenres sont inscrites auprès de l’organisation, dont environ 90 % de travailleurs et travailleuses du sexe. En l’absence d’aide financière, beaucoup ont décidé de travailler dans la rue dès les premières heures de la journée, les exposant ainsi non seulement à la COVID-19, mais aussi à la discrimination et à la possibilité d’être arrêtés par les autorités.

Leanis Zuñiga, animatrice sociale de Viviendo Positivamente, fait une présentation à ses patients.

« Les femmes avaient peur, mais elles ont continué leur activité de travailleuse du sexe, car c’est leur seul moyen de gagner de l’argent. Avec le changement des périodes où nous pouvons sortir, les horaires de travail ont changé. Nombreuses sont celles qui ont été obligées de proposer leurs services pendant la journée, s’exposant ainsi à davantage de discrimination », poursuit Venus.

Avec un soutien limité et aucun autre moyen de générer des revenus, les femmes se retrouvent face à un choix difficile: « On préfère mourir de la COVID que de mourir de faim », expliquent-t-elles.

Pour les travailleurs sociaux du milieu associatif, le contact visuel est essentiel.

« Notre objectif est de pouvoir être à leurs côtés pendant cette période. Je me suis servie de mon téléphone portable pour passer des appels, et en trois mois, j’avais contacté 45 personnes. J’utilise des appels vidéo pour me montrer et établir une relation de confiance », précise Leanis Zuñiga, animatrice au sein de l’organisation Viviendo Positivamente.

En nouant des contacts en ligne, Leanis est parvenue à encourager plus de femmes à passer par l’organisation pour accéder aux services de santé.

Une patiente parle avec Leanis Zuñiga.

« Ça m’a intéressée parce que je pouvais apprendre des choses. Ils m’ont appris à utiliser des préservatifs et à me protéger de manière générale. Je connaissais déjà Leanis et quand on a commencé à discuter d’une application que tout le monde utilise, elle m’a parlé des services proposés par l’organisation et c’est pour ça que j’ai fini par venir », explique Mónica, une femme transgenre.

Protéger les actions de lutte contre le VIH

Si les approches numériques ont permis aux associations de communiquer avec leur public cible de manière régulière et dans un climat de confiance pendant la pandémie, elles ont également vu leurs besoins augmenter de manière significative. L’AHMNP a récemment fait état du plus grand nombre de tests positifs au VIH parmi les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes au cours de ses trois dernières années d’activité. Et pourtant, en raison de ressources limitées, sur les quatorze animateurs actuellement employés par l’organisation, seuls cinq conserveront leur poste dans les mois à venir.

Une animatrice sociale de Viviendo Positivamente explique comment utiliser un préservatif.

Le PNUD, grâce à un financement du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (le Fonds mondial), soutient l’action contre le VIH au Panama depuis 2015. En collaboration avec le gouvernement et des associations partenaires locales, l’objectif principal est de faciliter l’accès aux services de prévention du VIH, de traitement et de soins pour les populations les plus à risque. Grâce à cette initiative, plus de 12 800 personnes ont désormais accès à un traitement antirétroviral et 18 000 personnes bénéficient d’un soutien psychologique et ont accès au dépistage.

Les répercussions de la pandémie de COVID-19 menacent de freiner les progrès réalisés dans la lutte contre le VIH. Des enquêtes réalisées par le Fonds mondial dans plus de 100 pays révèlent que jusqu’à 75 % des services dédiés au VIH, à la tuberculose et au paludisme sont perturbés par la pandémie de COVID-19 et que les décès liés au SIDA devraient doubler l’année prochaine, annulant ainsi plus de dix années d’avancées durement acquises. Le monde doit investir de toute urgence pour préserver les progrès réalisés dans la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme, pour combattre la COVID-19 et pour empêcher que ces quatre maladies ne fassent davantage de victimes.

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